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jeudi 24 mars 2016

Cela, qui n'a pas de nom



ce que l'on invente pour tenter de croire
 
que ne sont pas morts ceux-là qui sont morts

paradis, poèmes, esprits de feu et âmes errantes,

chiens jaunes, conversations et tables tournantes 
prières et tutoiements, des signes dans les cieux 
et des lieux où l'on vient leur parler

ce que l'on invente pour ne pas heurter la mort 
de front ou par déchirure des sens et des visages
ce que l'on invente !


Que tu sois mort toi qui fus de toute ma vie
 
comment puis-je l'entendre ? 
Comment l'entendez-vous - qu'il soit mort lui qui fut de toute ma vie ?

Toi qui plus jamais ne regarderas la beauté
plus jamais ne m'agaceras les dents
plus jamais ne m'appelleras « ma fille »
plus jamais
plus jamais ne mourras

comment puis-je le croire ?

Alors j'invente

et j'invente sans y croire
en mordant le cuir en tutoyant ton éternel silence
en refusant ton éternel silence
en bravant ton éternel silence

et j'imagine l'heure où j'arriverai là où tu es que j'invente
et j'imagine que nous échangerons des propos et des facéties
nous parlerons de la vie et de la mort que maintenant nous connaissons un peu
nous boirons du vin un peu trop et nous fumerons ensemble
conscients d'avoir vécu sans clefs
et d'avoir vécu quand même

et j'imagine et j'imagine

et de là d'où je te parle je ne crois pas un mot de ce que je dis
pas un mot de ce que je dis

pourquoi ne viens-tu pas me dire, en bleu
que tout est bien et qu'il ne reste que la joie et la paix quelque chose dans ce goût-là
en me disant « ma fille »
et tu repartirais et me laisserais pleurer ça qui n'a pas de nom :
voir celui-là qui fut de toute ma vie s'en détacher, s'en détacher

la leçon est-elle qu'il faut aimer les vivants
comme s'ils étaient des morts ?

chiens jaunes, conversations et tables tournantes
la leçon est-elle
?


24 mars 2016
à mon père

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