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vendredi 29 janvier 2016

eh Paol ! tu m'entends ?

Eh Paol ! Tu m'entends ? Je parle par dessus l'océan
dans la langue muette. Paol, je parle sans, je viens de Brest
je parle la langue des français mais la tienne, je parle avec.

Je viens du quadrillage et de la ruine de guerre avant moi
je viens d'avant
et sans les mots de la terre et du vent de nos monts noirs
je parle à même la terre et le vent Je parle bouche sèche et fougères
même si je viens de Brest je parle par les ribins, Paol tu m'entends ?

J'aurais voulu ma langue pareille à mon pays, l'écorche sur les cailloux
le dur et la courbe le noir des corneilles noires du ciel-novembre
la nuit qui vient couvrir les lumières en feu sur la mer
et le chien qui court fou sur toutes les plages de Bretagne

J'aurais voulu ma langue pareille aux mousses sur la dune,
au caché dans le granit et qui s'entend doux
quand Youenn Gwernig chante, dans sa chemise

Mais j'ai la parole française taillée pour le cristal parole paternelle Paol
avec l'accent d'ici quand même qui pend à mon cou
la cloche des vaches quand elles rentrent à l'étable
les voitures du dimanche soir obligées de laisser passer les vaches
les vaches qui laissent leur bouse sur le chemin je suis l'enfant de ça
qui sent le pays sous la langue et sans

je suis l'enfant sans langue qui dit vent et vit an avel pour l'envolée
et qui ne trouve pas les mots pour dire la pluie et son gris
cette larme de morve et de crachins dans laquelle on s'aigrit
qui respire en nous qui sème des gens courbés dans les rues
pour traverser entres les gouttes mais on en sort mouillés pour sûr
puisque la pluie d'ici c'est du rideau
Tu vois Paol il me reste les brujun, les miettes pour les filles des villes

J'ai bien compris, tu sais, que la langue dans laquelle je suis née
ce n'était pas celle-là pour laquelle j'étais taillée
alors j'ai fait poète un peu pour me tirer par les oreilles
mais Paol tu m'entends ? La langue dans laquelle je marche
les bottes dans la terre et la main sur les talus,

jamais apprise et jamais oubliée
6 novembre 2012
à Paol Keineg

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